La nuit était tombée il y a de cela quelques temps déjà. Plus personne ne déambulait dans les rues. On entendait pas un chat à l'extérieur. Tout ce qu'il restait à présent, c'était la nuit, la nuit noire, et seulement quelques chandelles dans quelques chaumières qui brillaient dans la pénombre.
Elenwë regarda son interlocuteur dans les yeux.
« Je sais... je ne suis pas quelqu'un de très facile. Certaines disent même que je suis sans cœur. Mais je ne les blâme pas, ce n'est pas de leur faute. Il faut dire que je ne suis pas la plus innocente des femmes, et que je fais tout pour que cela reste ainsi. Mais il fut un temps où je l'étais. Innocente.
Mon père n'était qu'un modeste forgeron. Toute sa famille avant lui habitait à Starkhaven. Il paraissait donc légitime que mon père y habite également. C'était un homme bon et serviable, qui rendait service à son prochain. Enfant, j'admirais sa générosité. Maintenant je me dis qu'elle a couru à sa perte. Pauvre homme... Pour ce qui est de ma mère, à vrai dire je ne l'ai jamais connu. Vous savez, morte à l'accouchement, ces trucs comme ça... Tout ce que je sais d'elle, c'est ce que mon père me racontait d'elle, de même pour mon frère. Lui au moins a pu profiter d'elle pendant quelques années. Je reconnais que de ce côté-là j'ai eu de la chance, certains aînés blâment le cadet en disant qu'il a tué leur mère. Mon frère ne m'a jamais accusé cela, ce qui est une chance. Enfin, il en faut bien un peu ! Il semblerait qu'elle avait les cheveux longs, blonds et lisses, et qu'elle avait de magnifiques yeux bleus. Bref, tout ce que je n'étais pas. J'avais hérité des yeux et des cheveux de mon père, bruns et frisés.
Malgré les nombreuses disputes, je m'entendais bien assez Alandir, mon frère bien-aimé. Dès son plus jeune âge, il s'était trouvé une vocation pour les armes et le combat. Bien évidemment, père ne le laissait pas manier une réelle épée ! Mais rien que pour lui, il lui en avait fabriqué une, une lame émoussée, pour ne blesser personne qu'il disait. Ah ! S'il savait maintenant... Cependant, père le laissait observer lorsqu'il confectionnait une épée. Père mettait toujours un point d'honneur à travailler avec perfection et assiduité... »
La jeune femme marqua un temps d'arrêt pour regarder par la fenêtre. L'homme, toujours assis sur sa chaise, ne disait mot.
« Enfin bref, les années avaient passées, et un beau jour mon cher frère se retrouvait mercenaire. Je n'ai jamais su comment, enfin à vrai dire je n'en avais cure, donc je n'avais jamais vraiment demandé. Mais Alandir a toujours su être persuasif, et après m'avoir ouvert les yeux sur le fait qu'aucun avenir ne m'attendait, que je n'étais pas faite pour la vie d'épouse, je m'étais joins à lui. Le frère et la sœur Valandil mercenaires. Mais vous pouvez imaginer qu'étant une femme, le combat n'était pas aisé pour moi. J'ai donc du développer mon mental et ma ruse. Alandir devint mon véritable maître d'armes, et c'est lui qui me trouva mon premier contrat. Je m'en souviendrais toute ma vie... Certaines fois, lorsque la nuit est bien glaciale, j'y repense, encore aujourd'hui. J'avais ôté la vie d'un homme, et le pire dans tout ça c'est que j'avais aimé et ça m'a effrayé. Et puis un jour, j'ai rencontré un homme ».
Elle eut un sourire involontaire. Aussi insensible qu'elle voulait paraître, elle devait admettre qu'elle avait aimé cet homme. Ses yeux se mirent à briller avec les souvenirs qui refaisaient surface, tandis que l'homme, en face d'elle, ne sourcillait pas d'un millimètre.
« Pour lui, j'ai arrêté de faire ce que je fais. Grossière erreur. L'amour est une faiblesse, mon frère me l'a bien rappelé. Il l'a tué. Eh oui, mon frère avait bien vu que j'allais le laisser tomber pour Naymen, c'était son nom. Quel bel homme il était ! Avec lui j'avais connu l'amour, l'espoir. Et ça, mon frère me l'a enlevé. Je ne lui ai jamais pardonné depuis. Je le hais depuis ce jour, mais je lui suis aussi reconnaissante. Je le hais car il a tué le seul homme que j'ai jamais aimé, mais grâce à lui, désormais je suis plus forte, plus endurcie. Quel homme ayant le désir de courtiser mon cœur n'a qu'à bien se tenir, car je ne plus une proie facile !
Depuis, je me noie dans le travail et il faut croire que ça paie pas mal ! J'ai gagné en agilité, et maintenant pas mal de contrats me sont proposés, j'ai maintenant quelques alliés avec qui je travaille. Vous ne comprendriez pas ce qui m'attire dans ce travail, et ce n'est pas grave, je ne vous en veux pas. Mais chez nous les mercenaires, les assassins, nous avons une règle fondamentale : une fois le contrat signé, la mission doit être remplie quoi qu'il arrive. Vous comprenez pourquoi je dois faire ça, n'est-ce pas ? »
Un demi-sourire se dessina sur ses lèvres, tandis que la bougie qui éclairait la pièce faisait refléter son ombre sur le mur. Une goutte de sueur dégoulina sur le visage de l'homme, ligoté à la chaise et bâillonné. Elenwë sortit une dague de sa bottes, attrapa l'homme par les cheveux, et l'égorgea d'une traite.